DOSSIER DU MOIS DE DECEMBRE 2017 : Un nouveau Contrat de Performance Energétique abusif

19/12/2017 Dossier

Nous vous avons déjà dédié un dossier aux CPE lorsqu’est parue la loi Grenelle 2. Nous allons ici vous exposer un cas concret qui nous interpelle. Un de nos adhérents nous a communiqué le Contrat de Performance Energétique (CPE) signé avec la société SEC, filiale de Cofely. A l’analyse, il s’est avéré que ce contrat de chauffage est un gouffre financier total pour cette copropriété de 150 lots. Il multiplie les clauses abusives. L’analyse de ce contrat laisse incrédule. Quand une clause est claire, c’est qu’elle est en défaveur de la copropriété et le reste du temps, le contrat est flou. Nous sommes vraisemblablement face à un contrat rédigé par un prestataire sans concertation avec la copropriété.

I. Le principe du CPE

Rappelons ce qui caractérise le CPE :

  • Un groupement d’entreprises (chauffagiste, bureau d’études thermiques, entreprise du bâtiment et architecte) ou une entreprise unique disposant en interne de ces multiples compétences propose un programme de travaux qui vise à réduire les consommations énergétiques. Ce programme porte sur les installations de chauffage et/ou le bâtiment (CPE dit « élargi »). Le groupement fait une offre de financement des travaux « clause P4 » ;
  • Le groupement garantit les économies d’énergie en s’engageant sur un objectif de consommations énergétiques après travaux (on appelle cela une « clause d’intéressement ») ;
  • Suite à la réalisation des travaux, cette clause est intégrée dans un contrat d’exploitation et de maintenance des installations de chauffage signé avec le chauffagiste du groupement.

Sur le papier, la logique semble vertueuse. Dans la pratique un tel contrat est particulièrement compliqué à établir pour les copropriétaires, et ce notamment en raison des nombreux paramètres techniques entrant en jeu dans la définition du contrat. Or, les chauffagistes les maitrisent souvent « trop » bien et, in fine, au détriment des copropriétaires.

Voilà l’une des « ficelles » les plus courantes : les entreprises proposent des consommations garanties après travaux plus élevées que leurs propres estimations. Une fois les travaux réalisés, les objectifs de consommations « garantis » sont faciles à atteindre, et le contrat s’en trouve très lucratif.

Par exemple si la consommation projetée est de 1200 MWh par an, et que dans la réalité, la copropriété ne consomme que 1000 MWh année après année, la copropriété paiera toujours l’équivalent de 1200 MWh moins un certain écart (par exemple 100 MWh), sauf qu’elle ne retrouvera jamais l’intégralité des sommes engagées dans la différence (200 MWh)… Si l’écart est important, et qu’il se maintient dans la durée, cela peut s’avérer très rentable pour les professionnels… et bien moins pour les copropriétaires !

Dans le cas étudié ici, le contrat comporte des clauses P1 P2 P3 P4 avec un intéressement sur la clause P1, rappelons à quoi correspondent ces intitulés :

  • Clause P1 : fourniture d’énergie assurée par le chauffagiste
  • Clause P2 : entretien et maintenance des installations ;
  • Clause d’intéressement sur la fourniture d’énergie : elle est destinée à garantir la diminution des consommations énergétiques. Si les consommations réelles sont inférieures à cet objectif prédéterminé, la copropriété et le chauffagiste se partagent les économies. En revanche ce dernier est pénalisé si les consommations sont supérieures à l’objectif ;
  • Clause P3 (ou garantie totale) : provision annuelle pour renouvellement de gros matériel ;
  • Clause P4 : financement des travaux. En l’absence de détail sur cette clause dans le contrat, nous ne présenterons pas d’analyse de ce point. Rappelons néanmoins que ce type de clause est tout bonnement illégal.

Retrouvez notre article sur la définition complète des différentes clauses des contrats de chauffage  ici.

II. Un poste P1 incohérent et couteux

1. À première vue, tout va bien

Dans un contrat de chauffage contenant une clause P1, la copropriété n’achète pas son énergie à un fournisseur, mais à son chauffagiste. L’ARC déconseille fortement une telle clause, car il est plus avantageux de choisir soi-même son fournisseur d’énergie. En effet, le prestataire prend une marge plus ou moins importante sur le coût de l’énergie (voir par exemple les abus n°3736392739584044).

Si dans votre copropriété, vous êtes concernés par une clause P1, avec ou sans CPE, nous ne saurions que trop vous conseiller de lire cet article : Comment renégocier le coût du gaz lorsqu’on a un contrat P1 (achat du gaz par le chauffagiste) ?

Dans le cas de ce contrat, le prix indicatif du MWh hors taxes ne semble pas aberrant si on le compare aux offres des fournisseurs de gaz à l’époque où a été signé le contrat. Mais comme nous allons le voir juste après, dès que l’on rentre dans le détail de l’analyse du contrat, on se rend vite compte que le coût du MWh ne correspond pas réellement à ce que va devoir payer la copropriété.

2. Un montant forfaitaire P1 incohérent

En toute logique, le montant forfaitaire HT indiqué pour le poste P1 devrait être égal au coût du gaz pour un MWh (33,494 € HT/MWh) multiplié par l’objectif de consommation (1650 MWh). Or quand on compare ce calcul avec le montant forfaitaire P1.C annoncé (59 686,36 € HT), on obtient un écart de 4 400 € en défaveur de la copropriété… Alors, simple erreur, ou incohérence entre les différents articles du contrat ? Il y a en tout cas de fortes raisons de douter du sérieux de ces professionnels…

3. Une « gestion » de l’augmentation des taxes très couteuse

Le contrat précise que si les taxes sur la fourniture de gaz évoluent, l’augmentation sera répercutée sur la copropriété. Cela se tient mais le chauffagiste surfacture l’évolution des taxes sur la fourniture d’énergie : « si à l’avenir de nouvelles taxes ou contributions apparaissent elles seront répercutées au client affectées d’un coefficient de gestion de 8% ».

Cela signifie que toute nouvelle taxe sur la fourniture d’énergie fournira une rente supplémentaire et permanente au chauffagiste, et ce sans raison objective. C’est clairement une clause abusive, et dès lors que le contrat est signé, on ne peut plus s’y opposer !

4. Un premier paramètre incertain

Les frais pour le réchauffement de l’eau chaude sanitaire sont facturés au prorata des volumes consommés, et donc indépendamment du poste P1. Mais la méthode qui a permis de déterminer ce coût de réchauffement mériterait d’être explicitée, et ce d’autant plus dans un CPE où tout choix technique doit être soupesé et justifié.

III. Une prestation d’exploitation des installations « P2 » peu engageante

1. Peu d’engagements techniques concernant la maintenance

Un écueil important du contrat P2 est l’absence de gamme de maintenance complète, c’est-à-dire un listing détaillé des différentes opérations de contrôle et d’entretien réalisées par le chauffagiste, et leur récurrence au cours de l’année. Seuls deux paragraphes évoquent ces opérations, mais de manière peu approfondie et assurément pas exhaustive... Et le contrat ne fixe même pas la fréquence des visites de contrôle.

2. Impossible de contrôler le travail du chauffagiste

Le contrat précise que l’exploitant tiendra un livret de chaufferie (ce qui est d’ailleurs une obligation légale pour toute chaudière de puissance supérieure à 400 kW selon l’article R.224-29 du code de l’environnement). Ce document est capital, car il permet de suivre la prestation réalisée par le prestataire, et ce en particulier par comparaison des informations renseignées avec la gamme de maintenance. Mais sans gamme de maintenance, ce contrôle est très limité.

3. Des paramètres invérifiables ou même indéfinis pour certains

La température contractuelle de chauffage est fixée à 19+1.5 soit 20.5°C, et doit être vérifiée par des passages ponctuels et avec utilisation de sondes enregistreuses. Ces dispositions semblent claires mais comment est réellement mise en œuvre la mesure sur le terrain ? Où et comment sont positionnées les sondes enregistreuses ? Qui les contrôle ?

Par ailleurs, il n’y a aucune précision concernant la température de chauffe de l’eau chaude sanitaire. Ce point est pourtant important pour limiter les consommations énergétiques et éviter le risque de prolifération des légionelles

Ce point est pourtant important pour limiter les consommations énergétiques et éviter le risque de prolifération des légionelles…

4. Des pénalités quasi-virtuelles à l’encontre du chauffagiste

Le contrat prévoit un certain nombre de pénalités financières à l’encontre du chauffagiste : retard de la mise en route du chauffage, interruption de plus de 36 heures, insuffisance du chauffage (au moins 2°C en dessous de la température de chauffage des locaux prévue au contrat), etc. Très bien… Mais les montants engagés sont insuffisants pour contraindre le chauffagiste à une bonne gestion : 1/500 des montants des postes P1 et P2 par jour d’interruption au maximum, soit un peu plus de 130 € sur un marché de près de 130 000 € par an ce n’est pas dissuasif.

5. Des coûts supplémentaires injustifiés

Le montant annuel du poste P2 est dans la moyenne, mais l’adjonction d’un poste P2.EEE au titre de son service « d’Efficacité Energétique et Environnementale » dont les contours ne sont pas déterminés précisément fait presque doubler le coût de la prestation. Et le contrat ne précise même pas ce qui est inclus dans ce mystérieux poste P2.EEE…

Tout cela nous montre bien à quel point un certain nombre de clauses de ce P2 sont floues et méritent une renégociation sur le fond. L’obligation de moyens est faible, ce qui est d’autant plus gênant qu’on a à faire à un contrat avec obligation de résultat !

IV. Un « engagement de performance énergétique » exclusivement en faveur du chauffagiste

1. Le principe de l’intéressement

Pour rappel, voilà comment fonctionne une clause d’intéressement :

  • La copropriété et le chauffagiste s’accordent sur un objectif de consommation pour le chauffage, pour une saison hivernale de rigueur moyenne ;
  • Si les consommations sont plus faibles que ce qui est prévu, alors le chauffagiste bénéficie d’une partie des économies (en général le tiers ou la moitié, mais les parties décident dans le contrat de ce qu’elles souhaitent) ;
  • Si les consommations sont supérieures, alors le chauffagiste devra prendre en charge tout ou partie de ce dépassement.

Vous trouverez plus d’informations sur la négociation des clauses d’intéressement dans notre nouveau guide « Comment bien gérer son chauffage collectif » : www.arc-copro.com/it51

  1. Economies d’énergie APRES TRAVAUX : l’objectif d’économie d’énergie après travaux est de 35% avec un engagement minimal du chauffagiste de 30%. Très bien, mais le contrat n’explique pas comment est calculée la baisse des consommations ! Ici aussi le prestataire devrait être transparent et donner le détail de la méthode de calcul utilisée. Telle qu’il la présente, la liste sommaire des travaux réalisés n’est pas un élément suffisant pour décrire la baisse des besoins énergétiques.

Par ailleurs le contrat précise que l’objectif de consommation après travaux est de 1650 MWh soit 34,1 % de moins que la consommation initiale. Où sont passés les 35 % ? Et surtout, pourquoi la base de DJU correspondante est-elle différente ? 2214 pour cet objectif, contre 2400 en référence avant travaux, cela signifie que l’on compare entre eux deux hivers qui ne sont pas aussi froids l’un et l’autre. Résultat : l’objectif de consommation est bien plus facile à atteindre pour le chauffagiste !

Au regard de ces éléments, il semble de plus en plus clair que ce contrat est bâti par le prestataire seul, et ce pour servir uniquement ses intérêts …

Pour définir un bon CPE, il faut nécessairement une transparence dans les objectifs de consommation et les paramètres de chauffage. Car si le moindre paramètre change, cela fait forcément évoluer les consommations d’énergie en conséquence. Tout doit être clair et cadré en amont pour définir que le calcul d’intéressement soit applicable.

Par exemple, les températures de chauffage des logements précisées dans le contrat sont-elles égales aux températures qui étaient pratiquées avant le CPE ? Dans ce contrat rien ne prouve que le prestataire n’ait pas choisi des températures inférieures aux températures initiales, afin de faciliter encore plus la mise en œuvre des économies d’énergie…

Le même constat peut être appliqué aux DJU de référence, à la durée de la période de chauffe, au coefficient q… Le tableau ci-dessous montre que TOUS les paramètres sont incertains.

 

 

Avant la signature du CPE

Après la signature du CPE

Performance énergétique du bâti

Non évaluée

Le contrat liste les moyens (isolation du bâti, VMC hygroréglable type B) mais ne donne aucune information chiffrée

Performance énergétique de la chaufferie

Non évaluée

Le contrat liste les moyens (chaudière à condensation, programmateur d’intermittence) mais ne donne aucune information chiffrée

Station météo DJU

Orly (selon le prestataire)

Orly

Nombre de DJU (base de calcul de la rigueur de l’hiver)

2400 (selon la SEC)

2214

Période de chauffage

1er octobre au 30 avril (selon la SEC)

1er octobre au 30 avril

Température dans les logements

19+1.5°C (selon le prestataire)

19+1.5°C

Réduction de la température de chauffage la nuit

Non évalué

A priori oui vu l’installation d’un programmateur d’intermittence, mais aucune précision dans le contrat

Consommation globale chauffage

2504 MWh PCS (selon le prestataire)

1650 MWh PCS

Coefficient q (quantité d’énergie nécessaire au réchauffement d’un m3 d’eau chaude sanitaire)

Non évalué

Environ 115 kWh/m3

Température de consigne eau chaude sanitaire

Non évaluée

Non précisée

V. Une « garantie totale P3 » opaque

Les termes de la garantie totale précisent que toute dépense engagée au titre du P3 est validée par le biais d’un devis, mais c’est à peu près le seul point sur lequel la « garantie totale » est honnête. La gestion globale du poste souffre d’une totale opacité.

Pour être qualifié de transparent, un point technique devrait être prévu chaque année avec le chauffagiste, et le rapport annuel prévu au contrat devrait comprendre :

  • un récapitulatif du solde P3 de la copropriété ;
  • un récapitulatif de toutes les dépenses du chauffagiste ;
  • les factures du matériel installé pendant l’année ;
  • une prévision des travaux prévus pendant la prochaine saison de chauffe.

Par ailleurs le contrat ne précise pas :

  • Les équipements couverts (doit-on supposer que le PV de prise en charge en début de contrat fait foi ?...) ;
  • le coût de la main-d’œuvre pour les travaux sur le compte du P3 ;
  • la marge éventuelle que prend le chauffagiste sur le matériel.

Mais il y a plus grave : les sommes engagées dans la garantie totale et non dépensées ne sont pas obligatoirement restituées en fin de contrat !

La clause P3 coûte pourtant de plus de 8 000 € par an, et si ces montants ne sont pas dépensés par le chauffagiste au cours du contrat, la copropriété n’est pas du tout sûre de voir ces montants revenir sur ses comptes ! Le contrat précise simplement que le solde pourra être utilisé pour réaliser des « travaux d’amélioration des installations » en fin de contrat sans plus de précisions (par exemple, on ne sait pas qui choisit les travaux à réaliser…).

Si vous êtes soumis à un contrat P3 « à perte », nous ne saurions que trop vous conseiller de le renégocier, et si vous vous posez la question d’en signer un, sachez que des alternatives sont possibles, comme par exemple mettre en place un équivalent de contrat P3 directement sur les comptes de la copropriété.

VI. Pour conclure

Cette analyse montre à quel point il s’avère dangereux d’accepter les yeux fermés une offre de CPE clé en main. L’ensemble du contrat concourt à ramener de juteux profits au prestataire, et, tenez-vous bien, le contrat a été signé pour pas moins de 16 ans, ce qui est le maximum légal (voir le point I.1. de notre dossier d’octobre 2015).

L’intitulé « contrat de performance énergétique » ne suffit pas pour que se concrétisent de réelles économies. En revanche, les conditions techniques et économiques du contrat peuvent y concourir. Si vous souhaitez vous lancer dans l’établissement d’un CPE, nous vous conseillons tout d’abord de consulter le pôle « chauffage, eau, rénovation ». Nous pourrons au besoin vous orienter vers un bureau d’études thermiques.

Précisons par ailleurs que vient de paraitre notre nouveau guide « Bien gérer son chauffage collectif » www.arc-copro.com/it51. Cet ouvrage traite de façon très accessible l’ensemble du sujet du chauffage collectif et offre des conseils utiles aux copropriétaires, pour leur permettre de mieux négocier votre contrat de chauffage, comprendre le fonctionnement de la chaufferie et échanger avec les professionnels qui interviennent sur l’ immeuble.