Entretien professionnel des gardiens et employés d’immeuble : vite fait, mal fait. Qu’en penser ?

26/01/2016 Dossier

Entretien professionnel des gardiens et employés d’immeuble : vite fait, mal fait. Qu’en penser ?

 

La loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale a modifié le Code du travail en instituant un entretien professionnel obligatoire tous les deux ans.

 

C’est l’article L. 6315-1 du Code du travail qui précise que cet entretien, entre le salarié et son employeur, doit être consacré à ses perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi.

A noter : cet entretien ne porte pas sur l'évaluation du travail du salarié.

 

D’autres précisions sont apportées par cet article, telles que la nécessité d’établir un document (compte-rendu), le déclenchement d’un tel entretien après certaines absences et le renforcement de l’entretien tous les six ans.

Nous arrivons à la fin de la période des deux premières années après la publication de la loi, et les premiers entretiens doivent se tenir avant le 7 mars 2016.

 

La quasi-totalité des syndics n’a pas anticipé cette échéance, comme beaucoup d’employeurs, et évidemment il flotte comme un parfum d’urgence…

 

C’est ainsi que certains syndics ont imaginé sous-traiter cette obligation auprès de cabinets de conseil « spécialisés et reconnus en ressources humaines et psychologie du travail » (sic), rien de moins…

  1. Pourquoi les syndics veulent-ils sous-traiter l’entretien professionnel ?

Comme nous l’expliquons dans notre article « Nouvelle classification des gardiens et employés d’immeuble : halte au feu » des conseils syndicaux ont reçu de certains syndics des courriers qui expliquent en substance qu’il faut des compétences tellement pointues en gestion du personnel que les syndics sont obligés de recourir à de très grands spécialistes en la matière.

 

C’est un peu angoissant de comprendre qu’ils n’ont pas les compétences requises pour appliquer un texte plutôt simple…

 

Cette communication est déplorable et la vérité aurait été préférable : devant de nouvelles obligations multiples et très chronophages (mutuelle, classification, entretien professionnel, pénibilité au travail, etc.), les responsables de la gestion du personnel n’en peuvent plus.

 

Même l’ARC peut comprendre qu’il est très difficile d’organiser de multiples réunions nouvelles au pied levé dans un cabinet de syndic, petit ou grand…

 

Mais doit-on faire remarquer que la loi ne disait pas que le premier entretien devait être organisé au dernier moment, dans la précipitation… ?

 

  1. Est-il possible de sous-traiter l’entretien professionnel ?

Le Code du travail prévoit que le salarié « bénéficie tous les deux ans d'un entretien professionnel avec son employeur ».

 

Contrairement à ce qui est entendu ici et là, il n’est pas prévu que l’employeur puisse s’exonérer de cette obligation ou la confier à des tiers.

 

Cela semble normal, puisque le but de l’entretien est l’évolution professionnelle du salarié en matière de qualification et d’emploi.

 

Si l’entretien est sous-traité, même à un éminent psychologue du travail (sous-traitance revendiquée par certains syndics), on ne voit pas bien comment le sous-traitant connaîtrait pour chaque copropriété les perspectives d’évolution professionnelle.

 

Comment pourrait-il savoir, par exemple, si un employé à temps partiel peut espérer passer à temps complet ou si un employé peut espérer devenir gardien à l’occasion du départ du gardien, etc. ?

Seul l’employeur connaît les réponses.

 

Selon notre analyse, la sous-traitance de l’entretien professionnel à des tiers est contraire à l’esprit et à la lettre du Code du travail.

  1. Que peut-on faire ?

Lancer des anathèmes contre cette sous-traitance est facile mais ne changera pas grand-chose.

 

Recommander à nos adhérents collectifs de signifier leur refus au syndic de sous-traiter cette tâche ne sera pas plus efficace.

En effet, il s’agit de gestion du personnel sans incidence directe sur les copropriétaires.

 

Le seul risque, quelque peu théorique, est un recours du salarié qui estimerait que son entretien professionnel aurait été détourné / privé de son objet.

 

Enfin, n’oublions pas qu’un cabinet de syndic pourrait très bien embaucher pour quelques mois une personne qui ferait passer les entretiens professionnels à la chaîne, en tant qu’employeur, sans mieux connaître les copropriétés.

Ce que nous recommandons donc :

  • Ne pas donner quitus au syndic de sa gestion s’il le demande (ce n’est pas une punition, c’est juste une précaution en cas de contentieux ultérieur et le contexte rend cette précaution habituelle encore plus importante).
  • Refuser toute facturation à ce sujet, le syndic sous-traitant une tâche de gestion du personnel qui lui incombe.
  1. Et après ?

 

L’ARC va saisir la Ministre du Travail afin de lui demander si l’employeur (le syndic en sa qualité de mandataire du syndicat des copropriétaires) peut sous-traiter l’entretien professionnel alors que le Code du travail ne le prévoit pas et qu’il y a un risque pour le salarié que les « perspectives d'évolution professionnelle, notamment en termes de qualifications et d'emploi » n’échappent quelque peu au sous-traitant.

Affaire à suivre, donc…

  1. Que peut faire le conseil syndical ?

Le conseil syndical a un rôle légal d’assistance et de contrôle du syndic (art. 21 de la loi du 10 juillet 1965) et un rôle consultatif (art. de la convention collective). Il peut donc tout à fait interroger le syndic sur les conditions dans lesquelles doit se dérouler cet entretien professionnel.

 

Pour comprendre les enjeux de cet entretien professionnel, il peut lire le guide rédigé par l’organisme de formation des gardiens et employés d’immeubles, Agefos Pme.

  1. Pourquoi s’inquiéter autant ?

L’ARC s’inquiète car elle a eu entre ses mains la synthèse écrite d’un entretien professionnel mené par un cabinet d’experts.

Que lit-on dans ce document ?

 

Dans le cadre du « socle commun de connaissances et de compétences professionnelles » [qui relève des articles D. 6113-2-1 du Code du travail, hors sujet par rapport à l’évolution professionnelle], on lit que le salarié « sait communiquer en français, sait utiliser les règles de base de calcul et du raisonnement mathématique, sait utiliser les techniques usuelles de l'information et de la communication numérique, sait travailler dans le cadre de règles définies et d'un travail en équipe, sait travailler en autonomie et réaliser un objectif individuel, sait apprendre à apprendre (sic) tout au long de la vie et enfin sait maîtriser les gestes et postures de base et respecter des règles d'hygiène, de sécurité et environnementales élémentaires ».

 

Pour un sous-traitant qui ne connaît pas le salarié, seul en face de lui, et qu’il ne peut pas évaluer lors de cet entretien professionnel - il doit seulement échanger avec lui sur ses perspectives d’évolution - c’est vraiment porter beaucoup d’appréciations sans avoir d’éléments de vérification ou de contrôle…

 

Il n’est pas précisé si un besoin de formation est nécessaire, souhaitable, inutile…

 

Ensuite dans la partie « CFP », il est énoncé que le salarié comprend ce qu’est le CPF (sic). On suppose que le salarié aura compris la distinction entre le congé de formation professionnelle et le compte personnel de formation, erreur de frappe incluse…

 

Enfin, il y a deux lignes qui traitent de l’évolution professionnelle, reproduites in extenso :

  • Évolution professionnelle dans le poste : Non
  • Évolution professionnelle vers un autre poste : Non

Le document est signé par le salarié et par le « consultant », on ne sait pas si l’employeur en sera destinataire et s’il a mandaté le « consultant »…

Vous comprenez pourquoi l’ARC s’inquiète ?...