CONSEIL N° 3071 - Dépassement de budget : la Cour de Cassation vole enfin au secours des copropriétaires et sanctionne les syndics
I. Les copropriétaires face à la toute puissance des syndics
Nous le disons et le redisons : l’une des plaies majeures de la copropriété vient de ce que les syndics ne sont pratiquement JAMAIS sanctionnés pour leurs fautes parce qu’ils arrivent, quatre vingt dix fois sur cent, à faire ratifier celles-ci par des assemblées générales dans lesquelles chacun sait à quel point il est facile de faire pression et - à défaut - d’exercer des manipulations (pouvoirs, mandats de gestion, complicité de certains, passivité des autres, isolement de quelques « combatifs »).
II. Un arrêt de la Cour de Cassation qui va remettre de l’ordre
En effet, la Cour de Cassation vient remettre un peu d’ordre dans cette situation inadmissible où le droit n’existe plus et où le syndic tout puissant fait sa loi.
En l’espèce, un syndic du Groupe Foncia avait cru bon de commander pour 33 570,10 euros de travaux d’ascenseurs, en exécution d'une décision d'assemblée générale ayant voté les travaux, de manière peu claire au demeurant, pour la somme de 23 100 euros.
Le copropriétaire plaignant réclamait la somme de 853,31 €, soit sa quote-part de la différence.
Or la Cour de Cassation vient de décider le 7 février 2012, ce qui est une révolution dans le petit monde de la copropriété, que « le syndic est responsable, à l'égard des copropriétaires, sur le fondement quasi délictuel, de la faute qu'il a commise dans l'accomplissement de sa mission », et peut donc devoir réparation à l’égard de chaque copropriétaire du préjudice subi par le dépassement d’un budget voté.
Ainsi, la Cour de cassation a écarté l’objection de l’absence de lien contractuel entre le syndic et chacun des copropriétaires individuels : le préjudice individuel ne s’efface pas devant le préjudice collectif non revendiqué.
La lecture de l’arrêt (pas très long) est extrêmement intéressante, car il rappelle quelques notions un peu tombées en désuétude, telles que l’obligation de réparation d’un préjudice même individuel, le devoir de conseil du syndic, la déontologie des syndics, la rigueur de rédaction des résolutions, l’entretien, la sauvegarde et l’urgence.
II. Au-delà du problème des travaux, celui du dépassement des budgets
En ce qui concerne les dépassements budgétaires, que remarquons-nous ?
Il suffit aux syndics soit de faire entériner leur mauvaise gestion par une assemblée générale manipulée soit carrément de mépriser ladite assemblée en répartissant les comptes sans approbation.
Nos contrôleurs de comptes et de gestion, qui assistent les conseils syndicaux motivés pour contrôler les comptes de leurs copropriétés, le dénoncent régulièrement.
Là encore l’arrêt du 7 février 2012 pourrait rappeler aux syndics leur DEVOIR, en particulier celui de RESPECTER le budget voté et de ne le dépasser que pour des raisons LÉGITIMES.
Ainsi, l’époque du profond mépris des syndics professionnels à l’égard des copropriétaires quand il leur est présenté des comptes avec des déficits importants est sans doute révolue : désormais, n’importe quel copropriétaire insensible aux raisons exposées pour justifier ce qui n’est rien d’autre qu’avoir outrepassé le mandat reçu, pourra demander au syndic d’assumer sa faute de gestion.
Et comme les syndics professionnels ne sont sensibles qu’à ce qui leur coûte, on peut penser que désormais les gestionnaires auront pour consigne de faire très attention au respect des budgets votés…
En conclusion, si votre syndic adore dépasser les budgets votés (de travaux ou d’opérations courantes), faites-lui lire cette décision de Cassation ci-dessous.
Voici l’arrêt :
« REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique : Vu l'article 1382 du code civil, ensemble l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965 :
Attendu, selon le jugement attaqué (juridiction de proximité d'Antibes, 6 mai 2010), que M. X..., propriétaire d'un appartement dans un immeuble en copropriété, a assigné la société Foncia CGI, syndic, en paiement de dommages-intérêts correspondant à la quote part supplémentaire de charges payée en exécution de travaux sur ascenseur commandés par le syndic pour une somme de 33 570,10 euros en exécution d'une décision d'assemblée générale ayant voté les travaux pour la somme de 23 100 euros ;
Attendu que, pour débouter M. X... de sa demande, le jugement retient que le montant total des travaux doit être acquitté par l'ensemble des copropriétaires et qu'un seul copropriétaire ne peut pas exiger, à titre personnel, que la différence entre le montant des travaux et celui voté par l'assemblée générale constitue pour lui-même des dommages- intérêts ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le syndic est responsable, à l'égard des copropriétaires, sur le fondement quasi délictuel, de la faute qu'il a commise dans l'accomplissement de sa mission, la juridiction de proximité a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. X... de ses demandes, le jugement rendu le 6 mai 2010, entre les parties, par la juridiction de proximité d'Antibes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant la juridiction de proximité de Cannes ;
Condamne la société Foncia CGI aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Foncia CGI à payer à M. X... la somme de 2 500 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille douze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Baraduc et Duhamel, avocat aux Conseils pour M. X...
MOYEN UNIQUE DE CASSATION :
Il est fait grief au jugement attaqué d'avoir débouté Monsieur X..., copropriétaire de l'immeuble Le Fabiola, de sa demande tendant à la condamnation de la société Foncia CGI, syndic de la copropriété, à lui verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi à la suite de travaux engagés par ce syndic pour une somme dépassant l'autorisation accordée par l'assemblée des copropriétaires ;
AUX MOTIFS QUE Monsieur X... estime que le montant des travaux sur les ascenseurs a été voté par l'assemblée à hauteur de 23.100 euros alors que le montant desdits travaux s'est élevé à 33.570,10 euros ; que de ce fait, en sa qualité de copropriétaire, il demande à la société Foncia CGI de lui verser, à titre de dommages-intérêts, une somme de (33.570,10 euros - 23.100 euros) x 163/2.000 = 853,31 euros, soit sa quote-part dans le surplus du montant des travaux ; qu'il existe deux devis : - l'un concernant l'ascenseur A du 14 février 2005 d'un montant global de 20.274,99 euros dont 14.667,67 euros au titre des travaux d'urgence relatifs à la vétusté de l'installation et 5.607,24 euros pour les travaux de conformité ; - l'autre concernant l'ascenseur B du 19 décembre 2005 pour un montant global de 10.499,36 euros sans distinction entre les travaux d'urgence relatifs à la vétusté de l'installation et les travaux de conformité ; qu'à ce stade, le montant total des travaux s'est élevé à 30.774,35 euros qui doivent être acquittés par l'ensemble des copropriétaires au prorata des millièmes qu'ils détiennent, un seul copropriétaire ne peut exiger à titre personnel que la différence entre le montant de travaux et le montant voté par l'assemblée constitue pour lui-même des dommage-intérêts ; qu'en ce qui concerne l'assemblée du 30 juin 2005 : - la 15ème résolution « après avoir pris connaissance des conditions essentielles du/des devis présentés par le syndic, pris connaissance de l'avis du conseil syndical, décide d'effectuer les travaux suivants : mise en conformité des ascenseurs et dépannage 7j/7j, travaux de conformité pour les deux ascenseurs 20.300 euros » ; - la 16ème résolution : devis d'environ 2.000 euros pour la remise en état des cabines d'ascenseur ; qu'il s'avère que le compte rendu du procès-verbal de l'assemblée en cause est mal libellé, puisqu'il ne fait pas état des travaux d'urgence relatifs à la vétusté de l'installation, travaux dont le montant est nettement le plus important ; que ce procès-verbal a été signé par les membres du bureau ; qu'en tout état de cause, le syndic a fait preuve de légèreté pour expliquer aux copropriétaires le véritable montant des travaux ; qu'il est rappelé que le syndic doit apporter des conseils pour permettre aux copropriétaires de prendre une décision en connaissance de cause, il fait preuve ainsi d'un manque de déontologie ;
1°/ ALORS QUE le syndic est responsable à l'égard de chaque copropriétaire, sur le fondement quasi-délictuel, de la faute qu'il a commise dans l'accomplissement de sa mission, en faisant procéder à des travaux importants et couteux dépassant ceux autorisés par l'assemblée générale des copropriétaires ; que le juge de proximité a constaté que chacun des copropriétaires était tenu de payer, au prorata des millièmes qu'il détenait, les travaux de rénovation et de mise aux normes des ascenseurs qu'avait fait réaliser la société Foncia CGI pour la somme de 30.774,35 euros, bien que l'autorisation accordée par l'assemblée générale des copropriétaires portait sur un montant de 22.300 euros ; qu'il en résultait que le syndic avait commis une faute, en engageant des travaux ne relevant pas de l'entretien courant de l'immeuble sans autorisation de l'assemblée générale des copropriétaires au-delà de 22.300 euros, et que cette faute avait causé un préjudice personnel à monsieur X..., tenu d'acquitter une fraction des travaux non autorisés ; qu'en écartant la responsabilité de la société Foncia CGI, la juridiction de proximité a violé l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965, ensemble l'article 1382 du Code civil ;
2°/ ALORS QUE, subsidiairement, à supposer que le jugement ait retenu que les travaux non votés étaient des travaux urgents, le syndic ne peut engager de sa propre initiative des travaux importants ne relevant pas de l'entretien courant de l'immeuble qu'à la condition que ces travaux soient à la fois urgents et nécessaires à la sauvegarde de l'immeuble ; qu'en se bornant à relever que les travaux relatifs à la vétusté des ascenseurs, dont le procès-verbal d'assemblée générale ne faisait pas état, étaient « des travaux d'urgence », sans rechercher si ces travaux étaient nécessaires à la sauvegarde de l'immeuble, la juridiction de proximité a privé sa décision de base légale au regard de l'article 18 de la loi du 10 juillet 1965, ensemble l'article 1382 du Code civil.
Décision attaquée: Juridiction de proximité d'Antibes du jeudi 6 mai 2010. »