Décret relatif à la formation continue des professionnels de l’immobilier : une belle hérésie
L’article 24 de la loi ALUR a modifié la loi du 2 janvier 1970 en prévoyant une nouvelle obligation pour les professionnels immobiliers de suivre une formation continue dont les modalités sont à définir par un décret.
Cette disposition était devenue inévitable compte tenu le manque de connaissances manifeste des professionnels de l’immobilier et en premier lieu des syndics, notamment sur la législation et la réglementation en matière de gestion des copropriétés.
En parallèle, certains cabinets de syndic n’ont pas attendu la publication du décret pour prendre en considération de cette nouvelle obligation et ont d’ores et déjà réclamé une augmentation de leurs honoraires.
Cependant, comme nous allons le constater, le décret d’application n°2016-173 du 18 février 2016 définissant le champ d’application de la formation continue reste largement insuffisant, et en aucun cas à la hauteur des enjeux.
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Une obligation de formation minimum
Face aux irrégularités des syndics professionnels relevées de manière quasi quotidienne, il était cohérent de prévoir une durée de formation continue d’au moins quarante heures (pour chaque personne concernée), ce qui représente cinq jours par an.
Cette durée minimum aurait permis d’assurer aux syndics professionnels une meilleure connaissance des dispositions légales et réglementaires évitant notamment de retrouver dans l’ordre du jour des questions ou résolutions illégales.
Néanmoins, le décret a prévu une durée de la formation continue de seulement 14 heures par an pour chaque personne concernée, ou de 42 heures au cours de trois années consécutives d’exercice.
Il s’agit donc uniquement de deux jours de formation dans l’année ou encore de six jours sur trois ans, ce qui nous semble largement insuffisant.
Et pour cause, la formation devra aborder huit thèmes différents dans les domaines suivants : juridique, économique, commercial, déontologie, de la construction, de l’habitation, de l’urbanisme et de la transition énergétique.
Autrement dit, la formation continue devra actualiser les connaissances des personnes concernées dans huit disciplines différentes en l’espace de quatorze heures dans l’année, au sein desquelles il faudra impérativement intégrer deux heures spécifiquement au sujet de la déontologie...
C’est donc au final 1h43 par thème au mieux, et à condition qu’il n’y ait pas de pause cigarette au milieu de la journée de formation !
Mais encore, au-delà de cette durée de formation largement insuffisante, on peut s’interroger sur les organismes qui seront chargés d’animer ces formations, ainsi que sur leur contenu.
En effet, plusieurs grands groupes de syndic ont créé leur propre institut de formations leur permettant d’une part, de verrouiller les contenus diffusés aux équipes, et d’autre part, de pouvoir récupérer les financements liés à la prise en charge de la formation continue.
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Qui est censé suivre la formation ?
Le décret n°2016-173 du 18 février 2016 renvoie à la loi HOGUET qui détermine les personnes devant suivre cette formation. L’article 4 de cette dernière loi précise :
« Toute personne habilitée par un titulaire de la carte professionnelle à négocier, s'entremettre ou s'engager pour le compte de ce dernier justifie d'une compétence professionnelle, de sa qualité et de l'étendue de ses pouvoirs dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.»
Autrement dit, les personnes devant suivre cette formation continue sont, bien évidemment, le syndic titulaire de la carte mais aussi les gestionnaires de copropriété.
En revanche, cette obligation ne concerne pas les autres employés du cabinet de syndic comme les comptables ou les administratifs qui ne gèrent pas en direct les copropriétés.
On peut regretter que le décret n’ait pas étendu cette obligation notamment à l’égard des comptables.
En effet, presque dix ans après l’entrée en vigueur du décret et de l’arrêté comptable, on constate des approximations dans la tenue comptable des copropriétés dues à un manque de formation du personnel. Voir à ce sujet notre article : « Le décret et l’arrêté comptables adaptés à la copropriété : un bilan mitigé ».
Les comptables gèrent également aussi par exemple les fiches de paye des gardiens et employés d’immeubles ce qui nécessite une bonne connaissance des dispositions relatives à la convention collective. Voir par exemple : « Nouvelle classification des gardiens et employés d’immeuble ».
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Une condition sine qua non pour obtenir le renouvellement de la carte professionnelle
Le suivi de cette formation devient une condition sine qua non pour pouvoir obtenir de la chambre de commerce et d’industrie le renouvellement de la carte professionnelle.
Le décret a prévu des aménagements en fonction de la date d’échéance de la carte professionnelle dont voici le détail :
« Pour la demande de renouvellement de leur carte, les titulaires de la carte professionnelle expirant :
- entre le 1er avril 2016 et le 31 décembre 2016 ne sont pas tenus de justifier de l’accomplissement de leur obligation de formation continue ;
- entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2017 justifient d’activités de formation continue d’une durée minimale de quatorze heures ;
- entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2017 justifient d’activités de formation continue d’une durée minimale de vingt-huit heures. »
Ce décret entrera en vigueur à compter du 1er avril 2016.
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Des adhérents de l’ARC mieux formés que les professionnels
Il est toujours intéressant de comparer les obligations incombant aux professionnels par rapport à celles que les responsables de copropriété s’imposent.
En effet, un conseil syndical ou un syndic bénévole adhérent à l’ARC suit environ sept formations par an, d’une durée approximative de trois heures chacune. Ajoutons à cela qu’il participe à différents colloques dispensés au cours de l’année ainsi qu’au salon annuel qui se tient sur deux jours et au cours desquels de nombreuses informations leur sont communiquées.
C’est donc en moyenne plus de 40 heures de formation que l’adhérent de l’ARC s’impose en une seule année pour être en mesure de pouvoir assister efficacement son syndic, voire même de prendre en main la « gestion » de sa copropriété en tant que syndic non professionnel.
Mais encore, le responsable de copropriété consolide ses connaissances à partir de supports juridiques délivrés par l’ARC comme la revue trimestrielle ou des guides gratuits ou payants édités par l’association.
C’est donc 14 heures de formation obligatoires pour les syndics professionnels, pendant que les copropriétaires adhérents à l’ARC s’imposent 40 heures en tant que bénévoles : cherchez l’erreur...
D’ailleurs, on constate une différence notable entre les copropriétés dont le conseil syndical a pu bénéficier de formations dispensées par l’ARC au cours de l’année par rapport à des immeubles dont le conseil syndical n’est pas encore adhérent.
Pour conclure, il est donc probable que cette nouvelle obligation ne soit qu’un trompe l’œil, permettant aux grands groupes de proférer la « bonne parole » à leurs gestionnaires au cours de ces formations tout en récupérant les financements pour la formation professionnelle par l’intermédiaire de « leur » institut de formation.
Bref, cette nouvelle obligation n’aura selon nous que peu d’incidence dans l’évolution des connaissances des syndics et ne justifie certainement pas une augmentation de leurs honoraires.